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jeudi 11 avril 2013

Le pari des caramels, constitution d'une équipe


Le pari des caramels

 Au moment de Noël je prépare des caramels en mélangeant du sucre du miel, du chocolat et du beurre. Ils forment au début un liquide un peu épais puis au fur et à mesure que je tourne et que je tourne la pâte au centre s’épaissit, quelque chose « prend », comme dans une mayonnaise, et au bout de trois ou quatre tours de plus on dirait que ma préparation n’est plus qu’un gros caramel que je malaxe avec ma cuillère. Il ne reste plus qu’à le cuire et à le découper. Mais qu’est ce qui se passe dans ce moment imprévisible qui arrive parfois au bout de trois minutes et parfois au bout d’une demi-heure seulement ? Depuis plus de trente ans ma mère teste chaque année de nouvelles théories : ce qui compte c’est la taille de la casserole, c’est la vitesse à laquelle on remue, c’est la chaleur, c’est la préparation du mélange chocolat/beurre, du mélange miel/sucre, il y a du beurre qui ne veut pas s’intégrer, il y a du sucre qui ne veut pas fondre. Chaque essai annule l’ancienne théorie, en suscite une autre, et produit quarante caramels. La tradition à Noël c’est de faire des caramels et des théories sur les caramels. Et de s’émerveiller que le secret résiste si bien à l’analyse, et que les caramels finissent toujours par prendre, sans qu’on sache pourquoi après quarante ans de théories, et peut-être simplement parce qu’on accepte de ne pas savoir pourquoi et de tourner et de tourner à s’en user le bras, peut-être parce que le moment où ça prend reste une surprise et un émerveillement.
Qu’est ce qui tout à coup tient ensemble ces particules qui flottaient juste avant dans l’indépendance la plus complète ? Est-ce que c’est le fait d’avoir été tellement remués, tellement forcés de se frotter les uns aux autres qui a créé un lien, comme dans les équipes ou les familles ballottées par les difficultés ? D’où vient ce lien ? Est-ce qu’il est inscrit en nous, en chaque cellule de notre corps et chaque grain de sucre ? Mais alors, qu’est ce qui nous le cache quand il n’apparaît pas ? Est-ce que quand je mange mes caramels les cellules de mon corps se sentent plus solidaires ?

Peut-être que l’univers est une recherche permanente de ce qui le tient ensemble. Peut-être qu’il y a derrière les évolutions les plus chaotiques une confiance profonde dans un grand caramel qui va forcément apparaître. Ou juste un pari, une invitation à un pari toujours ouvert, le pari du grand caramel.

Dans ma casserole, le caramel prend la forme d’une nébuleuse enroulée en spirale autour de ma cuillère. La préparation reste encore liquide à la périphérie puis ce qui a pris au centre entraîne le reste, comme les nuées d’oiseaux qui tourbillonnent dans le ciel d’automne attirent et absorbent tous les oiseaux des alentours.
Le pari du grand caramel est un état qui se propage mais qu’il faut sans arrêt retrouver sans qu’aucune théorie ne serve à rien. Sans lui, mes caramels ratés sont faits de grains de sucre qui se séparent sur la langue, ma vie ratée est faite de moments sans cohérence, nos équipes ratées sont faites d’individus isolés. Les ingrédients sont les mêmes, exactement les mêmes, mais rien ne se tient.

Pari du grand caramel, pari de la cohérence, coaching, bon sens, peu importe le nom. Nous avons en tout cas un rôle de liant, de réconciliant, entre nous et nous, nous et les autres, nous et le monde, le monde et le monde, qui sait jusqu’où ça va ? 



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